LA BCE DEVRAIT LA JOUER MODESTE ! par François Leclerc

Billet invité.

Une fois encore, la BCE est dans une posture de sauveur, se voyant créditée des prémices du redémarrage de la croissance dont les dirigeants européens font à nouveau leurs gorges chaudes, le coût du pétrole n’y étant pas également étranger. Mais la médaille a son revers, qui est superbement ignoré.

Disposant d’un excès de liquidités – faute de les employer pour accorder des crédits – les banques européennes n’ont pas attendues le lancement du programme d’achats de titres de la BCE pour accroître la part des obligations souveraines dans leurs portefeuilles d’actifs. En dépit du faible rendement de ces titres, elles y étaient incitées en raison du taux directeur quasi nul de la BCE, ainsi que de l’absence de charge en capital supplémentaire que ces achats impliquent : ces titres sont considérés sans risque, faisant exception avec tous les autres. Cherchant à limiter la baisse de leur rendement, les banques de la zone euro ont trouvé leur compte avec leurs opérations de carry trade sur le marché obligataire.

À la fin de l’année passée, les établissements financiers détenaient dans leurs livres 1.800 milliards d’euros de titres souverains, selon la BCE, en grande majorité émis dans leur pays de résidence. Depuis 2011, la part de ces actifs dans leur bilan n’a cessé d’augmenter, atteignant en moyenne 6 %, renouant avec le niveau atteint en 2006. Des placements de père de famille, jusqu’au jour où… Une telle situation recèle en effet un danger sous-estimé en cas de remontée des taux et de baisse correspondante de la valeur des titres.

C’est la raison pour laquelle, quelles que soient ses autres intentions, Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, réclame un traitement différencié de la dette souveraine des pays de la zone euro, afin de prendre en considération le risque des titres des États les plus menacés par une hausse de leurs taux obligataires. Mais l’application d’une telle réglementation aurait de fortes conséquences sur les banques de pays comme l’Italie, l’Espagne ou le Portugal, car certaines ne passeraient probablement plus les tests de la BCE et devraient être recapitalisées. Dans ces deux premiers pays, la part des titres souverains dans les bilans bancaires dépasse 10 %, tandis qu’elle atteint 8,1 % au Portugal. Il apparaitrait une fois encore que des bilans de santé ont été délivrés les yeux fermés, en dépit de toutes les assurances.

Certes, la BCE peut avec son nouveau programme se prévaloir de maintenir bas les taux obligataires, même lorsque la Fed se décidera à augmenter son taux directeur. Mais en contribuant par ses achats à faire monter le prix des obligations souveraines, elle va encore inciter les banques à s’en porter acquéreur, afin d’en profiter. Ce qui accroîtra les effets potentiels d’une hausse des taux quand elle interviendra… Voilà pourquoi il est urgent de ne pas dissiper la fiction suivant laquelle la dette souveraine est sans risque, et également pourquoi les restructurations de dette au sein de la zone euro sont taboues : cela déstabiliserait le système bancaire.

Au bout du compte, la BCE renforce le nœud gordien entre les États et les banques qui a été identifié comme le principal risque systémique en Europe. Y a-t-il vraiment de quoi pavoiser ?